Entracte Deux.
Comme une étreinte chaleureuse, comme une musique entraînante, comme un enfant qui rêvait de devenir Dieu.
Elle était assise par terre et pleurait. Elle pleurait parce qu'elle se sentait conne et surtout parce qu'elle était énervée. Il faisait légèrement froid. Personne dans la cour. Et les autres jouaient dans leur coin, loin d'elle. En bref, elle pouvait se morfondre autant qu'elle le voulait sans avoir à se justifier. Vaciller sur deux plans, être forte et être à fleur de peau, c'est toujours difficile. Il suffit d'une étincelle pour que tout explose, et cette fois là, j'implosais. Très peu de personnes ont pu admirer ce côté pathétique qui émane de moi, de temps en temps. Ce sont des privilégiés, ces gens-là. Et parmi eux, il y en a un qui s'est précipité vers moi, la voix calme quoiqu'un peu tremblante: "Mais, Meghane, qu'est-ce qui se passe? Je ne t'ai jamais vue comme ça."
Arrêt sur image.
Le propre de l'humanité, c'est l'inhumanité. Mais dans ce cas-là, le propre de l'homme, c'est l'humanité. L'humanité dans toute sa splendeur, dans toute sa quintessence. Je l'ai regardé et j'ai souri. Le sourire. Chez lui, c'était comme inné. Lui aussi, avait une façade. Lui aussi, souriait et se forçait, pour toujours paraître accueillant. Pour paraître, justement. Et puis, il s'est accroupi et m'a écoutée. Il aurait pu me donner une gentille petite tape sur l'épaule et s'enfuir rapidement en prenant la porte qui était à côté de moi. Il avait un choix à faire et il l'a fait. Il est resté. Un conseil, des phrases réconfortantes et j'ai compris. J'ai compris qu'il allait partir et qu'on allait perdre tout ce qui rendait la vie du lycée agréable, je dirai même vivable.
Une bouffée d'air frais, un ami qui "paye sa clope", un psy, un musicien... Pour tous ceux qui l'ont connu, ils pourront tous vous dire: "Ouais, Fabien, c'était quelqu'un." Et c'est quand on perd ce "quelqu'un" qu'on se rend compte de l'importance qu'il avait.
C'est con mais j'ai vraiment pris conscience de son impact tout autour de nous et de sa manière de donner aux choses un aspect optimiste aujourd'hui: c'était le bordel à la cantine, c'était le bordel au portail, c'était le bordel pour l'accueil du matin et le bordel pour "l'au revoir" quotidien.
Il était optimiste. Moi qui clamais il n'y a pas si longtemps que je ne l'étais plus, lui, il n'a pas baissé les bras. C'est un honneur pour moi d'avoir ramassé grain par grain, le riz sur la table de cantine sous ses yeux rieurs.
Maintenant, il est parti de ce foutu lycée. Il reprend le souffle qu'il avait peut-être perdu en arrivant là bas.
Ma gorge se noue quand je pense qu'on peut si vite s'attacher à une personne comme lui, je me sens conne là, je me sens conne parce que je trouverai jamais le courage de lui dire en face à quel point il est extraordinaire et qu'il représente quelque chose, quelque chose comme l'amitié.
Fabien, c'est l'humanité en personne.
C'est le surveillant qui nous quitte et le musicien qui arrive.
Jeudi 17 mars 2011 à 23:25